KIM VÂN KIEU
NGUYỄN DU
Traduit du Viêtnamien
Par Xuân-Phuc et Xuân-Viet
Connaissence de l’orient
Nhà xuất bản Gallimard
INTRODUCTION
NGUYEN DU OU LA SOUFFRANCE DU POÈTE
Tous les biographies de Nguyên Du s’accordent pour nous le dépendre comme un homme taciturne, très courtois mais très distant. Mandarin malgré lui, il remplissant certes les devoirs de sa charge tout aussi bien qu’un autre et, mieux qu’un autre, savait se faire aimer et respecter de ses administres1. Mais on le sentait étranger, au fond, à ces fonctions, lui qui n’etait fait pour nulle fonction, et c’etait cette part irréductible de lui-même, qui se laissait deviner malgré tout, qu’on ne lui pardonnait pas. Parvenu sans les avoir recherché, à des honneurs qui eussent comblé toute ambition médiocre, il restait, sinon aimer, du moins inquiet, insatisfait, que désirait-il donc? Que cherchait-il, ou que regrettait-il? Portrait-il dans son coeur, comme on l’a prétendu, le deuil de la dynastie morte? Mais le Viet-nam était unifíe et, après une longue période de convulsions, connassait une nouvelle ère đe grandeur, et Nguyên Du etait trop grand patriote, trop clairvoyant et trop génereux pour ne pas connaitre les mérites du fondateur de la nouvelle dynastie. Pleurait-il quelque amour trahi, quelque secrète ambition décue? Mais il est dérisoire de parler de trahision et de déception, lorsqu’il s’git d’une âme que rien ne saurait atteindre et d’une soif que rien ne saurait étancher. Cet homme mystérieux, nous le connaissons pourtant par son oeur. Une sensibilité riche et profonde y frémit, contenue par le sens dela beauté, l’éducation et cette pudeur propre à toute âme bien née. Ce grand taciturne, voici qu’un miracle nous fait parfois entendre sa propre voix, directe et claire, qui tantôt s’apitoie sur les malheurs de Kieu et tantôt vibre d’indignation, ou se fait singlante d’ironie, pour flétrir l’infustice où la bassesse. Cette âme aimant, que manquait-il à son amour? Ce coeur sincère et bon, pourquoi ne connut-il pas le simple bonheur? Le grand solitaire, l’amant des lacs et des montagnes, se révèle aussi comme un profond connaisseur des hommes et de la société, sondant tous les coeurs, fouillant tous les milieux de son regard percant. Certains ont pu s’y méprendre au point de considérer son oeuvre comme une peiture érotique ou une satire sociale. Les vers sur Tu-Hai respirent fìerement l’amour de l’indépendance et la volonté de puissance. Toutes ces virtualités d’expansion et de “divertissement”, toutes les facultés de conquête et de “jouissance”, pourquoi ne voulut-il pas ou ne put-il pas les mettre en oeuvre? Ce monde des hommes, dont il connaissait si bien tous les ressorts, quelle secrète faiblesse l’empêcha de s’y mouvoir à l’aise? Quelle entrave le retint d’agir et d’être heureux par l’action? De quel mal obscur souffrait-il donc?
Loin d’avoir voulu “faire de sa vie un chef-d’oeuvre”, il a désiré pour elle le silence et l’obscurité. A-t-il résolu de sacrifier sa vie à l’art? Nous pouvons connaitre ses ideés sur ce point, par certains passages du pòeme. D’abord cette idée que l’oeuvre d’art est un reflet du karma individuel et, comme tel, laisse présager la destineé de l’artiste. Au lieu d’être l’expression de la vie, elle préfigure la vie. Le chant de guitare composé par la jeune Kieu annoncait déjà, par sa poignante tristesse, tous les malheures futures. De même, les dix pòems écrits sur la demand de Dam-Tiên révélèrent qu’elle appartenait à la corporation des “filles aux entrailles déchirées”. Plus tard, au cours de la nuit nuotial, lorsque la guitare vibrait pour la dernìere fois sous les doigts, ce fut au contraire un chant pleine de sérénité et de joie. C’est qu’à ce moment, aprè quinze anneés de dures souffrances, elle s’était entìerement libérée de son Karma antérieur et renaissait à une nouvelle vie, promise au bonheur.
Dans un autre passage, Thuy-Kieu rapport une prédiction dont elle fut l’objet, dans son enfance, de la part d’un physiognomoniste: “Les dons naturels éclatent à de tous les talents”. Il est mauvais pour quelqu’un de se montrer trop brillant, même malgré lui, soit dans ses paroles, sois dans ses actes, soit dans ses écrits, - ou même dans son aspect, car un jour ou l’autre, il en sera puni – par le destin.
C’est là aussi le signe certain que les dons naturels ne sont pas enracinés profondément dans l’être et ne pourront pas s’épanouir heureusement. Il faut que les qualités innées passent inapercues. Nous trouvons là une conception qui se rapproche de la croyance grecque en la Némésis.
Nous voyons ainsi que, loin de prendre l’art pour le but suprême de la vie, le poète le considère comme une manifestation parfois dangereuse, en tout cas comme une activité devant être strictement subordonnée à la morale.
Son expérience personnelle est résumée dans ces vers qui se trouvent à la fin du pòeme:
“Que ceux qui ont du talent ne se glorifient donc pas de leur talent! Le mot taài (talent) rime avec le mot tai (malheur)”
Et encore:
“La racine du bien réside en nous-mêmes. Cultivons cette bonté du coeur qui vaut bien plus que talent”.
Nulle orgueilleus confiance non plus dans la pérennité de son oeuvre. Alors qu’un Horace se glorifie d’avoir “achevé un monument plus durable que le bronze, plus haut que les Pyramides royales, éffritèes par les siecles”, et proclame, dans ces accents d’une religieuse solennité, qu’il grandira “toujours rajeuni par les louanges de la postérité, tant que le Grand Pontife montera au Capitole, accompagné par la Vierge lilencieuse”, notre poète – poussé par quel irrépressible besoin de sympathie posthume – se demande avec douleur si “dans trois cents ans, il se trouvera sur la terre quelqu’un pour le pleurer.
Un mystère profond entoure la création poétique. Le besoin de chanter est-il purement gratuit ou bien est-il dicté par quelque impérieuse et obscure raison? Le poète écrit-il pour un public ou tout au moins pour quelqu’un? Non, répond Baudelaire dans cette dédicace des Paradis artificiels qui a l’accent d’une déchirante confession. “Il importe d’ailleurs fort peu que la raison de cette dédicace soit comprise. Est-il bien nécessaire, pour le contentement de l’auteur, qu’un livre quelconque soit compris, excepté de celui ou de celle pour qui il a été composé? Pour tout dire enfin, indispensable qu’il ait été écrit pour quelqu’un? J’ai quant à moi, si peur de gout pour le monde vivant que, pareil à des femmes sensibles et désoeuvreés qui envoient, dit-on, par la poste, leurs confidences à des amis imaginaires, volontiers je n’écrirais que pour les morts”
Une lettre, daté de 1929, de Paul Valéry à Georges Duhamel, permet peut-être de soulever un coin du voile: Le poète raconte à son ami que les travaux, auxquels il se livrait depuis des anneés, l’avaient éloigné, définitivement croyait-il, de la póesie et de même de toute préoccupation littéraire. “La guerre vint. Je perdis ma liberté intérieure. Spẻculer me parut honteux, ou me devint impossible…C’est alors que l’idée en moi naquit de me contraindre, à mes heures de loisir, à une tâche illumitée, soumis à d’édroites conditions formelles. Je m’imposai de faire des vers, de ceux qui sont chargés de chaines, Je poursuivis un long pòeme”.
Ainsi, ce sont peut-être les événements extérieurs qui, en retentissant dans l’âme du poète, l’incitent à la création. Un aveu semblable est fait par Nguyên-Du, dès les premiers vers de son pòeme: “A travers tant de bouleversements, mers devenues champs de muriers, que de spectacles propres à frapper douloureusement le coeur!” Le poète doit prendre sa part des malheures de ce monde, mais faute de pouvoir se délivrer de sa souffrance par l’action, il doit chercher à la cristalliser dans son oeuvre. Spectateur malgré lui, il lui faut justifier son existence; il ne peut la justifier que s’il parvient à créer de la beauté, mais alors il le justifie pleinement sans aucun besoin d’abilis. Telle aussi est sans doute sa souffrance que, même si demain se bâtissait soudain la cité fraternelle, même si le mal et la douleur disparaissaient subitement de la surface de la terre, il sentirait encore dans son âme la présence d’un vide éternel.
TABLE DES MATÌERES
Introduction
Nguyên Du ou la souffrance du poète
Kim – Vân- Kiêu, miroir de l’âme vietnamienne
LE PÒEME
Prologue
Premìere partie : Prédestination
I, Dans la paix du gynécée
II. Rencontre de la morte
III. Rencontre du vivant
IV. Le rappel de la dette antérieure a la naissance
V. L’échange des serments
VI. La séparation
VII. Le malheur
VIII. L’heure du choux
IX. Le départ
Deuxième partie : Explation
I. Le moule du stratagème
II. Ce reste de pureté, je promets de m’en corriger désormais
III. Le brasier ardent
IV. Un amour de lune et de vent
V. L’acide vinaigre
VI. La porte du vide
VII. Nouvelle chute dans le brasier ardent
VIII. Un coeur de héros
IX. Le pleuve Tiền-Đường
Troisième partie: Résurrection
I. A la recherche de l’amour perdu
II. Le bonheur retrouvé
Épilogue
Notes