PRÉFACE
Un enfant nait, crie, s’agite. Il grandit. Le voità mùr pour lécole, puis pour le métier. Tel est le cycle banal, la forme typique de noire developpenient à tous. Mais noils nc Vaffrontons pas tous dans les mêmes conditions, loin de là.
Et c’est alors qu’intervient line bien vieille reflexion sur l’adaptation des hommes à la vie sociale. Toutes les civilisations humaines Font faite, parce que toutes ont du résoudre de quelque fagon les rapports de l’homme el du metier, non sans heurts, malaises et contradictions. C’est qu’il est rare que chacun soit «à sa place». Et reste à savoir comment determiner cett’e place: problème complexe d’ẻconomie, de politique, de médecine, de psychologie. De nos jours Veft à ce carrefour que se situe ce qu’on appelle l’orientation professionnelle — le «choix» d’un métier.
La littérature est pleine de plaintes A ce pronos. On en trouve dé jà le type amer dans ces adimra hies Voyages de Gulliver on Swift Jait la satire des moeurs contemporaines et dépeint. par anti these celle des Lillipuitiens, ces hommes vertueux et natfs: «On les exhorte à bien choisir leur état de vie, el on tache de leur faire prendre celui qui leur convient le mienx, aqant moins d’égyard aux facultés de leurs parents qu’aux facultés de leur âme, en sorte que le fils d’lin labourent est quelquefois ministry d’Etat, et le fils d’un seigneur est marchand» Les analyses qu’on trouưerã plus loin se placent tout à’fait sous végide de Lilli put.
Nous n’avons cherché dans ce petit liưre, qu’à répondre à la question suitrante: l’orientation professionnelle de la jeunesse peut-elle troutrer dans la science des fondements solides? Si oui, quels sont ces fondements? Les bases actuelles de l’orientation ne doitrent-elles ptis étre revisées? Et d’abord, qu’est-ce actuellemeni que l’orientation professionnelle? Expression nouvellc, bien ancienne pratique, comrne nous le verrons lo public a parfois lu cette expression dans les journaux, l’enfant a Mé interroqé à vécole par tin «orìenteiiz», on bicn la mère s’est rendue au «Centre d’Orientation professionnelle» qu’on lui a sionalé, pour y demander un conseil. Les bureaux de placement, les employeurs, sont souvent en contact avec les Centres. Les travailleurs les connaissent moins bien el s’en méyient. Ces organistnes sont d’qilleiirs pen nombreux en France; peut-être une Enquanlaine dont le fonctionnement off re quelqne garantie. La majorité d’entre eux est d’oriqine privée. Quinze ou vingl mille «cotiseils» sont ainsi donnés chaque année à des enfants en age de quitter vécoìe. «Nous voulons, écrit Christiaens, en un resume, parfait de l’objectif act net de orientation, que chacnn, renseigné exactement sur toils les é laments du problème qu’il doit résoudre dans son propre intéret, puisse choisir en connaissance de cause la profession qui lui coniaent le mteux, done celle qu’il exer cera avec le plus d’aisance, le moins de fatigue et le plus de résultat». Idéal dont nous verrons s’il est respecté vraiment, et s’il est realisable sous cette forme.
Les méthodes utilisées dans les Centres sont simples: un dossier est reuni sur l’enfant, destiné à faire apparattre les dominantes dfỉ son état physique et psycholoyique, ses aptitudes»; puis un métièr oil une branche de metiers auquel ses aptitudes semblent convenir est conseillé à l’enfant oil à ses parents.
La pratique des examens qui permettent la constitution de dossiers s’est vulgarisẻe, mais pas toiljours avec la competence indispensable. En tout cas, l’orientation professionnelle organisèe, ou tout au moins controlée, commence a pollvoir affronter la critique. Les expériences se sont multipliées en France depuis quelques unnées, d’ailleurs passablement en retard sur cedes qui ont étè faites en Belgique, en Angleterre, aux Etats-Unis, en Suisse, en Allemagnef en Russie. Un certain nombre de publications lui sont consacrées, assez sommaires pour la plupartf on méme souvent purement pnblicitaires. L’Etat s’y intéresse de plus en plus. El fmalement l’orientation professionnelle devient à son tour tin champ clos ou se heurtent, quoique assez mollement, les forces qui ébranleụi tout le système social dans l’atmosphere diiquel nous vivons encore.
L’oilà une declaration qui’élonnera peut-étrles psychologues èlevés dans l’idolâtrie de l’individu et du libéralisme économique. C’esi cependanl l’expression d’un fait, qu’il importe au plus haut point d’élucider si l’on veut clarifier la situation pour la’venir.
Pour Tavenir. Non l’avenir lointain, mais la’venir proche, celui qui sejnit actuellement, celui qui se laisse pressentir dès maintenant. Trop d’articles et de brochures se contenlent de nous purler de ce qui est, et ce qui est, nous ưavons lit, c’est peu de chose. Le public a le devoir de connaitre ce qui doit étre, ce qui doit é tre, ce qui sera. L’orientation professionnelle s’intéresse à l’avenir professional de ưenfant, c’est-à-dire qu’elle pose au fond le problème de son ròle, de sa place, comme adutle, dans la structure économique (te la société, problème capital sans la resolution duquel l’avenir (le la culture comme satisfaction d’un besoin des masses, education des elites, n’a pas de sens. Par nature l’orientation professionnelle se préoccupe de l’avenir: avenir de t’elre humain, c’est-à-dire aussi de la race, avenir de la société, avenir du peuple. Elle doit done, pour devenir consciente de ses blits, procéder d’abord à l’évaluation de son propre avenir, c’est-à-dire faire la critique de son présent.
La quasi-totalité des ouvrages, documents oil rapports consacrés à l’orientation profesionnellc cons id è rent ses bases act lie lies comme line donnée presque intangible. Les poncifs, les routines, s’y installent déjà comme en tant d’autres domaines, el pour les mèmes raisons, ou plutot en fonction ties mémes intéréts. Chacun tempere cette médioờrité dr rappels à l’ideal, mais si vague, si lointain et parfois si dérobà, si hypocrite qu’autant vaut n’en pas parler.
Or l’experience jonrnaliere montre à tout praticien de l’orientation professionnelle, ù tout psych ot ague quo les objectifs qu’il pretend atteindre sont encore loin de sa porter et sont pculetre mat determines. J’ai entendn bien sou vent cette reflexion: «l’oricntation professionnelle, cela pourrait ètre quelque chose de très bien, mais…» Derrière cette formate evasive (et vulqaire) — un monde de sous-entendus… Mais quoi? Mais le praticien se rend-il compte (les causes de cet état de fait? Les formules pieuses ne sauraient nous siiffire. Par exemple: les temps sont dijficiles, il faut attendre la fill des gucrres, les progrès de la raison sont lents, il ne faut pas brusquer les choses, etc… Ne nous satisfont pas non plus les rappels de l’oeuvre pionnière dèjà accomplie. L’évolution sociale est parfois sourde, en effet, aux mérites individuels. Elle ne distribue pas de recompense; elle marche. La revolution se soucie moins encore de justice distributive.
L’orientation professionnelle a done besoin de crìtiquer elle-même les fondements de sa méthode et de sa doctrine, c’est aujourd’hui le meilleur moyen de definir ses objectifs. La discussion peut et doit sortir des laboratoires, car elle y est dans l’impasse. A pres avoir fait le point sur line plus large arènef elle pourra de nouveau s’enfermer parfois dans le laboraloire, mats plus sure d’elle- même.
On doit done s’attendre à trouver ici exprimẻes quelques opinions dont les Institutions officielles de l’orientation professionnelle ne font pas encore grand cas. On verra traités des problémes qui ne sont pas couramment considérès comme étant dll domaine de l’orientation professionnelle. On verra quelques «evidences» mises en doute, et ouvertes certaines perspectives qui seront bientot à l’ordre du jour. En outre, nous essayerons d’appeler un chat un chat. Cela vaudra mieux pour tout le monde, car il est inutile d’apprendre à dèchiffrer le comportement d’au trụi si ce n’est que pour mieux savoir dissimuler le sien.
Finalement l’espère que ces reflexions seront utiles à la cause qu’elles defendent, à savoir cells de l’intégration des méthodes de la psychologic objective dans les cadres de la division du travail socialiste, cause qui s’appelle encore pom le moment orientation professionnelle.
On nous a souvent répeté que l’orientation professionnelle était «décevante. Metis oui, pourquoi ne pas le reconnoitre ? Très décevante, e’est exact! Décevante comme le regime social dans lequel elle s’encadre actuellement, ni plus ni moins. Celui qui en doute, qui n’y voit que réussite et apostolat, qui y trouverait véritablement satisfaction, celui-là montre qu’il se contente avec une bien triste lacilité (l’un état de choses où périssent de fagon si dramatique et si monotone tant de jeunes existences innocents! Si l’orientation professionnelle nfẻtait pas décetrante — pire encore — je nfaurais pas songé à soulever les problèmes qu’elle pose et posera. L’orientation professionnelle est décevante comme l’est lioute cette implacable machinerie qui ventile l’humanité adolescente (titnée après année dans des branches professionnelles doni tous ces jeunes gens ne seront plus, dans bien des cas, que des rouages abrutis, dociles ou torturés… L’ocation, choix du metier, joie au travail, autant d’expressions qui ne recouvrent presque toujours, aujourd’hui, que des deceptions. Les exceptions ne me retiennent pas. Il s’agit de la masse. L’ajustement harmonieux d’un homme avec son métier — s’il existe vraiment — ne prouve rien contre le dẻsaccord de cent mille attires avec le leur.
Je n’ai pas écrit cette brochure pour les praticiens settlement, mats aussi pour toils ceux qui se préoccupent de la psychologie de demain, de la pédagogie de demain, de l’organisation sociale de demain, que je recouvre d’un qualificatif: socia- listes.
On trouvera aussi à Varrière plan de cetie étude, la deuxième guerre mondiale. Trop de brochures discutent ỉes problèmcs de Vorientation et de la formation de la main-d’oeuvre comme s’il s’agissait d’une question abstraite, lointaine, future, éternelle. De touchantes brochures dépeignent à l’adolescent versatile les multiples voies qui s’ouvrent à lut, comme si n’exitait pas la poigne brutale des circonstances actuelles qui lui dictent son chemin. Arrière les contes de bonne femme! L’enfance et la jeunesse nées de cette guerre n’ont et n’auront que mépris pour lès mensonges! La loi du travail continue à s’im poser à elles avec l’inéxorabilité du seul deslin que l’humanité puisse vivre: encore fautil ne rien lui cacher des véritables conditions où s’exerce cette loi, et de celles qui lui permettront de la modifier.
Vue sous cet angle Vorìentation professionnelle apparaít dans toute sa gravité. Dans l’existence technique, pratique, sociale, de l’homme, elle s’attaque aux plus complexes relations, à celles qui mélent le comportement de classe et le comportement individuel, le comportement familial et le comportement collectif-etatique, le comportement passionnel et le comportement économique, le comportement critique et le comportement créateur. Et cela, non sans confliis et révolutions profondes! L’orientation professionnelle ne peut done pas être l’ceuvre de fonctionnaires conservateurs,
TABLE DES MATIÈRES
Preface
Chapitre premier – L’homme, la division du travail et l’orientation professionnelle
Chapitre II – Marché du travail et travail dirigé
Chapitre III – De la division du travail à l’aptitude
Chapitre IV – Qu’est-ce que réussir?
Chapitre V – Théorie de l’aptitude
Chapitre VI – L’aspect biologique et l’aspect social de l’adaptation
Chapitre VII – Problèmes actuels